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AMÉLIORATION DE L’ACCÈS ET DES RÉSULTATS ET RÉDUCTION DES DÉLAIS DANS LES AFFAIRES DE DROIT FAMILIAL ET DE PROTECTION DE LA JEUNESSE : ÉTUDE DE CAS DU MANITOBA

Déclaration du Comité d’action

Notre comité existe afin d’appuyer les tribunaux canadiens dans leurs efforts en vue de protéger la santé et d’assurer la sécurité de tous les usagers des tribunaux dans le contexte de la COVID-19, tout en respectant les valeurs fondamentales de notre système de justice. Ces engagements qui se soutiennent mutuellement guident tous nos efforts.

Dans le cadre de son mandat, le Comité favorise le partage d’information entre les différentes administrations judiciaires au Canada, ce qui inclut la communication de pratiques utiles émanant de tribunaux individuels, lorsque cela s’avère opportun. Le Comité reconnaît que de tels efforts peuvent contribuer à promouvoir la coordination et la collaboration dans certains domaines clés afin de soutenir le rétablissement du fonctionnement des tribunaux partout au Canada.

OBJET ET CONTEXTE

Parmi les conséquences malheureuses et répandues de la pandémie de COVID-19 sur les tribunaux canadiens, l’une des plus marquées a été l’augmentation des délais ou engorgements judiciaires et du temps nécessaire pour trancher les affaires, ce qui peut entraver l’accès à la justice. Dans bon nombre de ressorts, la pandémie a exacerbé les problèmes qui existaient déjà.

Depuis le printemps 2020, le Comité d’action s’affaire à proposer aux tribunaux des stratégies générales, non prescriptives et non exhaustives destinées à éviter ou à atténuer les arriérés ou les prolongements de délais causés par la pandémie, en s’inspirant des pratiques exemplaires adoptées par les tribunaux d’un peu partout au Canada avant et pendant la pandémie. En s’appuyant sur ses principes d’orientation concernant le leadership et la gestion du changement au sein des tribunaux et la réduction des engorgements et des délais judiciaires, le Comité d’action s’intéresse maintenant aux efforts qui ont été déployés au Manitoba en vue de réduire les arriérés et les délais, et d’améliorer l’accès à une justice équitable, efficace et abordable pour les justiciables dans les affaires de droit familial et de protection de la jeunesse.

Avant que la COVID-19 vienne mettre le système encore plus à l’épreuve, la Cour du Banc du Roi du Manitoba, sous la direction de son juge en chef, avait élaboré deux nouveaux modèles efficaces d’instruction des affaires, dans le but de maximiser l’accès à la justice en s’attaquant aux arriérés, aux prolongations de délais et aux inefficacités qui régnaient. De même, le gouvernement du Manitoba a reconnu que même en dehors des questions de contentieux, le système de justice familiale comportait des obstacles systémiques à un accès efficace à la justice.

La Cour et le gouvernement ont tous les deux pris des mesures pour enrayer les problèmes d’inefficacité et les obstacles en question. Ces mesures ont eu des effets concrets de premier ordre : les affaires de protection de la jeunesse et les questions générales de justice familiale au Manitoba ont pu être résolues dans un délai raisonnable, déterminé et prévisible.

Parmi les effets de deuxième ordre, il est à noter que lorsque la COVID-19 a forcé la fermeture de tribunaux partout au pays en mars 2020, la Cour avait déjà éliminé des problèmes d’inefficacité dans l’instruction des affaires, de sorte qu’elle était bien placée pour gérer les prolongations de délais causés par la pandémie, sans avoir à composer en plus avec des arriérés préalables. Il y a donc matière à réflexion pour s’inspirer du succès de la Cour à cet égard, et aussi de la réforme fructueuse du système de justice familiale qu’a opéré plus globalement le Service de règlement des litiges familiaux (SRLF).

APERÇU DES INITIATIVES PERTINENTES

Le 11 mars 2022, le Comité d’action a écouté l’exposé du juge en chef Glenn Joyal et de la juge en chef adjointe Gwen Hatch de la Cour du Banc du Roi du Manitoba qui ont parlé des initiatives prises par la Cour pour réformer ses processus afin d’améliorer l’accès à la justice à la Division de la famille. La Cour a intitulé ses deux approches le « nouveau modèle de protection des enfants » et le « nouveau modèle de traitement des causes de la Division de la famille ». Ces innovations viennent contrer les retards et instaurer des moyens opportuns de résoudre les problèmes et de limiter les conflits familiaux, tout en évitant les coûts excessifs.

Les statistiques liées aux nouveaux modèles de protection des enfants et de traitement des causes de la Division de la famille font l’objet d’une évaluation continue, et il s’agit d’un précieux outil pour déterminer le bien-fondé de ces modèles.

À la même réunion du 11 mars, le Comité d’action a aussi entendu Leita Kalinowsky, directrice générale du SRLF. Mme Kalinowsky a parlé de la refonte indépendante, mais complémentaire, du système de justice familiale opérée par le gouvernement du Manitoba.

La présente publication traite tour à tour de chacune de ces initiatives.

1. NOUVEAU MODÈLE DE PROTECTION DES ENFANTS

1.1 Situation

À la Cour du Banc du Roi du Manitoba, il y avait d’importants problèmes d’accès à la justice dans les affaires de protection de la jeunesse, en raison des longs délais de traitement. À partir du moment où un enfant était retiré de son domicile familial, les ajournements fréquents, la succession de conférences préparatoires au procès et la longue attente avant la fixation des dates de procès venaient en alourdir le déroulement. Il en résultait que les affaires de protection de la jeunesse traînaient souvent en cour pendant un an ou plus, au détriment des enfants retirés de leur foyer ainsi que des familles concernées.

Les longs délais n’étaient pas de simples inconvénients pour les familles touchées : ils constituaient un obstacle qui limitait la nature des ordonnances que la Cour pouvait rendre. La Loi sur les services à l’enfant et à la famille du Manitoba précise la période totale de tutelle provisoire à ne pas dépasser, et il arrivait souvent que cette période expire avant l’étape de la conférence préparatoire au procès. Ainsi, si la Cour concluait alors que l’enfant avait besoin de protection, elle n’avait pas d’autre choix que de rendre une ordonnance de tutelle permanente en faveur d’une agence.

1.2 Objectifs

Le nouveau modèle de protection des enfants du Manitoba a été inauguré le 6 mars 2017 au palais de justice de la Cour du Banc du Roi à Winnipeg Centre, puis il a été mis en œuvre à l’échelle de la province le 1er février 2019.

Ce nouveau modèle a pour but de réorienter les instances judiciaires afin d’assurer un accès raisonnable et concret à la justice dans un délai prévisible. Il est axé sur trois principes :

L’impératif constitutionnel et moral

L’« appréhension » d’un enfant (c’est-à-dire son retrait ou sa prise en charge) fait intervenir les droits de la personne garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que les principes de justice fondamentale. Au-delà de la lettre de la loi, le retrait d’un enfant de son foyer est quelque chose de grave qui exige une attention urgente empreinte d’humanité.

Le changement de culture vers des instances proportionnées

Le nouveau modèle de protection des enfants a été élaboré dans le contexte des remarques incidentes largement appliquées que la Cour suprême avait énoncées dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 R.C.S. 87, où elle soulignait la nécessité d’un « virage culturel » impliquant « que l’on simplifie les procédures préalables au procès et que l’on insiste moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire ».

La réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation

Au Manitoba, la grande majorité des enfants retirés de leur foyer sont des Autochtones. Ainsi, les conséquences néfastes qui découlent des longs délais de résolution après le retrait et la prise en charge touchent de façon disproportionnée les enfants autochtones et leur famille. En mettant ce principe au cœur de son initiative de réforme, la Cour a reconnu l’importance qu’il faut attacher aux « appels à l’action » de la Commission de vérité et réconciliation du Canada ainsi qu’à la primauté de la protection de l’enfance.

1.3 Éléments clés

Le nouveau modèle de protection des enfants a pour but de résoudre les problèmes en la matière de façon efficace et, surtout, en fonction de l’intérêt supérieur des enfants.

Le nouveau modèle de protection des enfants :

  • établit des délais particuliers aussi bien pour le conseiller-maître (auxiliaire de la justice) que pour le juge du tribunal d’instruction, de façon à offrir aux enfants et à leur famille un calendrier raisonnable et prévisible du déroulement de l’instance;
  • réduit le recours aux conférences préparatoires au procès lorsqu’elles ne sont pas nécessaires, tout en encourageant l’ensemble des parties à planifier l’instance assez d’avance et à se responsabiliser.

L’échéancier strict et prévisible de résolution des différends est un élément fondamental du nouveau modèle de protection des enfants. Dans les 60 jours du retrait de l’enfant, le conseiller-maître examine la situation et prend les mesures suivantes au besoin :

  • rendre toute ordonnance pertinente en ce qui concerne la signification des documents;
  • ordonner la communication de précisions si une partie en a besoin pour répondre plus efficacement aux allégations d’une agence;
  • désigner un avocat pour les enfants;
  • rendre toute ordonnance pertinente sur consentement;
  • renvoyer l’affaire à un juge du tribunal d’instruction.

Le juge du tribunal d’instruction tâche ensuite de résoudre l’affaire. Si aucune solution ne ressort de l’audience d’instruction, le juge détermine s’il y a véritablement une question à trancher qui exige un procès. S’il n’y a pas matière à procès, le juge du tribunal d’instruction renvoie l’affaire pour requête en jugement sommaire.

S’il y a une véritable question à trancher par voie judiciaire, le juge du tribunal d’instruction fixe une date de procès selon un horizon de trois à six mois, et une date pour la conférence préparatoire qui se tiendra environ 30 jours avant le début du procès.

1.4 Évaluation

Au Manitoba, le nouveau modèle de protection des enfants a été très efficace pour prioriser les affaires de protection de la jeunesse et résoudre le problème des délais inacceptables en matière d’instances judiciaires. Voici un certain nombre d’observations fondées sur les données statistiques des 12 premiers mois d’application du nouveau modèle de protection des enfants à Winnipeg Centre :

  • Environ 80 % des affaires visées qui se sont retrouvées devant le juge du tribunal d’instruction ont été résolues en une seule audience;
  • Seulement environ 14 % des affaires visées ont ensuite dû passer par une conférence préparatoire au procès;
  • Environ 75 % des affaires visées qui se sont rendues jusqu’à l’étape de la conférence préparatoire au procès ont été résolues à cette même conférence.

Jusqu’à présent, depuis que le nouveau modèle de protection des enfants a été mis en œuvre en 2017 :

  • Pour les affaires nécessitant une audience devant le conseiller-maître, les délais d’instruction qui pouvaient atteindre huit mois ont cédé la place à une résolution dans les 60 jours;
  • Les nombreux ajournements devant le conseiller-maître ont été éliminés. Le délai maximal obligatoire de 60 jours pour les affaires instruites par le conseiller-maître continue de favoriser l’implication des parents;
  • Dans les affaires de protection de la jeunesse, la mise en œuvre du nouveau modèle a entraîné un changement de culture. Les parents ont maintenant tendance à être présents au tribunal d’instruction et aux conférences préparatoires au procès, le plus souvent avec leur avocat, et à présenter les plans de substitution qu’ils ont élaborés avec ce dernier;
  • Le temps à prévoir avant la date de procès est maintenant de trois à six mois à partir de l’audience d’instruction, alors que les délais antérieurs étaient d’environ 12 mois. De plus, il est à noter que peu d’affaires se rendent jusqu’au procès.

2. NOUVEAU MODÈLE DE TRAITEMENT DES CAUSES DE LA DIVISION DE LA FAMILLE

2.1 Situation

Tout en cherchant à maximiser l’accès à la justice dans les affaires de protection de la jeunesse, la Cour a reconnu qu’il existait des problèmes systémiques dans d’autres types d’affaires de la Division de la famille.

Les familles ayant un différend à résoudre devaient composer avec de longs délais avant que les dates soient fixées pour les conférences de gestion de l’instance et le procès, avec des processus non uniformes de gestion d’instance, et avec une culture de « requêtes urgentes » qui retardaient la résolution finale de questions en litige qui étaient tout de même importantes. Cela a contribué à une augmentation des frais judiciaires pour les justiciables et a rendu les choses plus difficiles pour les justiciables non représentés (JNR), qui doivent se débrouiller seuls dans le système judiciaire – ce qui représente un problème important, étant donné que, dans le système de justice familiale du Canada, pas moins de la moitié des justiciables ne sont pas représentés par un avocat. En outre, le taux élevé d’annulation des procès prévus en matière familiale a mis encore plus à l’épreuve l’efficacité de la Cour.

Le 1er février 2019, le juge en chef a introduit le nouveau modèle de traitement des causes en droit familial, afin d’amener des pratiques et des procédures favorisant des résultats justes, dans des délais adéquats et à un coût raisonnable. Les nouvelles initiatives de résolution des litiges familiaux font intervenir les ressources judiciaires tôt dans le processus.

2.2 Objectifs

En adoptant son nouveau modèle de traitement des causes de la Division de la famille, la Cour a voulu optimiser sa procédure pour les affaires à instruire en droit familial, dans le but d’éliminer les prolongations de délai et d’établir des moyens opportuns de résoudre les problèmes et de limiter les conflits familiaux, tout en évitant les coûts excessifs.

2.3 Éléments clés

La prémisse centrale de ce nouveau modèle est d’optimiser l’utilisation des ressources aux étapes les plus précoces de certaines instances litigieuses en matière familiale[1], plutôt que de consacrer ces ressources principalement aux procès.

Les objectifs d’une intervention précoce et régulière du personnel judiciaire sont les suivants :

  • veiller au déploiement de tous les efforts raisonnables pour résoudre ou trancher les causes familiales le plus tôt possible;
  • veiller à ce que de plus amples ressources judiciaires soient disponibles dès l’entrée dans le système de justice;
  • assurer une intervention judiciaire précoce et active afin de permettre la résolution rapide des affaires;
  • dans les cas où les affaires demeurent non résolues, veiller à ce qu’elles traversent les étapes du système judiciaire dans un délai raisonnable, prévisible et déterminé.

Conformément à ces objectifs, le modèle est axé sur cinq « évènements pertinents » qui guident le traitement des affaires et contribuent sensiblement à la résolution du différend ou à la réduction des questions en litige.

Les évènements pertinents sont les suivants :

  • obtention de la date de la conférence de triage;
  • tenue de la conférence de triage;
  • tenue de la première conférence de gestion de la cause (ou « conférence de cause »);
  • dépôt du certificat d’achèvement des mesures préalables;
  • tenue du procès.

Chaque évènement comporte des préalables et des délais clairement communiqués, de façon à ce que les parties sachent ce qu’elles doivent faire, quand elles doivent le faire et pourquoi.

Une fois que les parties satisfont aux préalables concernés, la Cour fixe assez rapidement une date de conférence de triage, dans l’intention expresse de résoudre promptement les affaires. Si les parties ne parviennent pas à résoudre tous les points en litige à la conférence de triage, le juge saisi de l’affaire fixe la date de la première conférence de gestion de cause, qui doit se tenir dans les 30 jours. Les parties comparaîtront alors de nouveau devant lui, toujours avec l’intention de résoudre un maximum de questions litigieuses, sinon toutes, et idéalement d’éviter l’investissement de temps et d’argent qu’exige un procès. La Cour a modifié ses Règles pour refléter le fait que, selon ce modèle, le juge chargé de la conférence de gestion de cause statue sur toute requête provisoire déposée entre la première conférence de gestion et la date du procès.

Si les parties demeurent incapables de résoudre tous les points en litige, le juge fixe une date pour le procès, qui doit avoir lieu dans un délai de 12 à 15 mois après la première conférence de gestion de cause. Les parties ne peuvent pas reporter la date du procès sans l’autorisation expresse du juge en chef.

Pour les parties et la Cour, les délais et obligations stricts qui se rattachent aux cinq évènements pertinents amènent de la prévisibilité, de la cohérence et un sens partagé des responsabilités permettant la résolution efficace des questions de justice familiale.

2.4 Évaluation

Les données recueillies relativement au nouveau modèle de gestion d’instance confirment que le taux de résolution des affaires familiales demeure élevé pour les causes familiales instruites par les juges chargés des conférences de triage et des conférences de gestion d’instance.

Depuis l’introduction du modèle, la grande majorité des affaires de justice familiale ont été résolues en partie ou en totalité à la conférence de triage. Par conséquent, la Division de la famille à Winnipeg Centre a connu une chute marquée du nombre de conférences de gestion d’instance, et très peu de causes se sont rendues jusqu’au procès.

En 2021 :

  • environ 70 % des affaires ont été résolues en partie ou en totalité en une seule audience, à la conférence de triage;
  • le nombre de conférences de gestion d’instance a nettement diminué, passant de 1 980 en 2018 à 632 en 2021, ce qui représente une baisse de 68 %;
  • seules 16 affaires se sont rendues jusqu’au procès.

Ainsi, les justiciables ayant un différend en droit de la famille consacrent moins de temps et d’argent au litige, car l’aide de la Cour permet aux parties de résoudre rapidement et efficacement les causes qui n’avaient pas vraiment besoin d’un procès.

En songeant à ce qui lui a permis de réduire le nombre de procès et leur durée, la Cour a souligné la contribution de deux initiatives parallèles. Premièrement, la Société d’aide juridique du Manitoba a fourni des indications sur les « mandats à portée limitée » (parfois appelés « services juridiques dégroupés ») afin de permettre aux avocats d’aider plus facilement les clients en droit de la famille par rapport à certaines parties de leur cause. La Cour a reconnu que les services juridiques dégroupés permettraient peut-être de mieux préparer les avocats aux changements apportés dans le traitement des affaires de justice familiale et à la nécessité de faire preuve de souplesse. Plus largement, le dégroupage peut être particulièrement important pour les parties à un litige en droit de la famille qui n’ont pas nécessairement les moyens de se faire représenter pleinement par un avocat, mais qui peuvent ponctuellement s’en payer un pour une partie du litige.

Deuxièmement, parmi les éléments qui ont contribué au succès du nouveau modèle de traitement des causes de la Division de la famille, la Cour a notamment mentionné la Loi sur la modernisation du droit de la famille du Manitoba, les modifications apportées à la Loi sur le divorce du gouvernement fédéral – pour obliger les parties à tenter d’utiliser des modes substitutifs de résolution des différends, à agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant et à fournir des renseignements exacts –, et les efforts que le SRLF a déployés afin d’améliorer l’accès à la justice sans simplement penser à l’aspect judiciaire du processus.

3. SERVICE DE RÈGLEMENT DES LITIGES FAMILIAUX (SRLF)

3.1 Situation

Lorsque la Cour du Banc du Roi du Manitoba a entrepris de maximiser l’accès à la justice ainsi que d’éliminer les longs délais et les arriérés dans le traitement des litiges en droit de la famille, le gouvernement du Manitoba a reconnu que, à la base, le système de justice familiale contribuait lui-même à entraver l’accès à la justice.

Plus particulièrement, bon nombre de personnes cherchant à résoudre leurs différends familiaux n’avaient ni les moyens de se faire représenter par un avocat ni la capacité de plaider eux-mêmes leur cause, étant donné la complexité du système. De plus, les ressources établies en matière de justice familiale ne suffisaient pas à aider les personnes marginalisées, notamment celles qui ne comprennent pas bien le système de justice, celles ayant des capacités limitées en lecture et en écriture, celles ayant des difficultés de compréhension ou d’expression, et celles se trouvant dans une situation d’important déséquilibre de pouvoir. Bref, le Manitoba a reconnu que l’approche de son système de justice familiale avait besoin d’être recentrée sur les personnes.

3.2 Objectifs

L’engagement du gouvernement à adopter cette approche axée sur les personnes a mené à la publication de ce rapport (en anglais seulement) : Modernizing Our Family Law System: A Report from Manitoba’s Family Law Reform Committee (modernisation de notre système de droit de la famille : rapport du comité chargé de la réforme du droit de la famille du Manitoba). Ce rapport proposait un modèle de résolution extrajudiciaire des différends qui comporterait un bureau administratif permettant d’assurer promptement le triage des affaires concernant le droit de visite de l’enfant, la pension alimentaire ou le partage des biens, et qui passerait par l’accroissement de la quantité et de la qualité de renseignements en langage simple sur le droit de la famille. Le rapport recommandait notamment de réduire en premier lieu le nombre de différends familiaux se rendant jusqu’au système judiciaire.

Lorsqu’est venu le temps de mettre en pratique le rapport, le SRLF a pris les devants en utilisant la conception axée sur la personne, une approche itérative fondée sur les solutions, qui permet de résoudre les problèmes tout en s’attaquant aux partis pris et aux préjugés. Pour ce faire, il a effectué des recherches ethnographiques[2], remis en question le statu quo, fait l’essai de différentes approches et réuni diverses équipes afin d’élaborer et de mettre en œuvre sa réforme.

Le SRLF a mené de vastes consultations, en rassemblant un large échantillon de personnes ayant différents liens avec le droit de la famille : des avocats et des médiateurs; des représentants de refuges pour victimes de violence conjugale, ou des forces policières; des représentants du milieu de la recherche et du monde universitaire; des membres de la magistrature; des parents et des enfants majeurs de personnes séparées ou divorcées; et des membres des communautés autochtones, francophones et culturelles.

De plus, le SRLF a consulté des centaines de familles manitobaines en leur demandant de quoi les choses auront l’air lorsque la justice familiale fonctionnera correctement. Les réponses obtenues ont permis d’élaborer un nouveau modèle de résolution extrajudiciaire des différends qui est axé sur la famille et les enfants, qui donne aux familles des moyens de mieux résoudre les conflits, et qui tient compte des façons dont les particularités personnelles, telles que la culture, la classe sociale et les traumatismes vécus, interagissent avec la justice.

3.3 Éléments clés

À présent, le SRLF est un système à fenêtre unique qui est d’abord numérique, mais pas seulement, et qui sert à obtenir toutes sortes de services, dont ceux-ci :

  • fourniture de renseignements, d’outils et de ressources, accessibles au moyen du site Web du Manitoba sur le droit de la famille;
  • services de soutien à la résolution précoce fournis par des guides familiaux spécialisés dans la violence conjugale et la planification de la sécurité, la résolution des conflits et la médiation, le droit de la famille et les processus judiciaires;
  • triage et orientation vers des services spécialisés qui sont culturellement et linguistiquement adaptés, lesquels peuvent comprendre le nouveau service des aliments (pensions alimentaires) pour enfants, l’aide juridique ou d’autres services financiers, juridiques ou sanitaires et sociaux, privés ou communautaires;
  • soutien pour remplir les conditions préalables à la comparution, dont celles que la Cour a mentionnées pour les « évènements pertinents » dans le nouveau modèle de traitement des causes de la Division de la famille;
  • aiguillage vers des modes substitutifs de résolution des différends, tels que l’arbitrage, la médiation, et les processus et services juridiques collaboratifs en droit familial;
  • renvoi au service des aliments pour enfants ou au tribunal pour des décisions finales et des ordonnances judiciaires dans les cas où le différend n’a pas pu être résolu;
  • orientation vers des possibilités de garde d’enfants à court terme et de façon ponctuelle si nécessaire pour accéder à des mesures et à des services de sécurité ou assurer la présence physique au tribunal.

3.4 Résultats préliminaires

Pendant la pandémie, le SRLF modernisé a regroupé sept secteurs de programme de deux différents ministères et a fait concorder les efforts d’une vingtaine de fournisseurs de services de justice familiale pour assurer la prestation d’une gamme de services de résolution extrajudiciaire des différends.

Le SRLF continue de surveiller les effets de son initiative de modernisation, et d’après les premières indications, celle-ci a permis de servir beaucoup plus de familles sans qu’il y ait eu augmentation des ressources financières. En fait, le SRLF a déjà réalisé une économie de plus de 40 millions de dollars.

Résultat concret : le SRLF aide la grande majorité de ses usagers à résoudre leurs affaires de justice familiale, d’un commun accord, sans même avoir à se rendre jusqu’au tribunal. Et dans le cas des familles dont le différend doit effectivement être tranché par un tribunal, le SRLF continue de les aider en circonscrivant les questions en litige, en les aidant à satisfaire aux conditions préalables de la Cour, et en fournissant au tribunal des renseignements qui contribueront à la résolution du conflit avant le procès – des mesures qui viennent toutes renforcer le nouveau modèle de traitement des causes de la Division de la famille, tout en contribuant à l’atteinte de ses objectifs.

4. LEÇONS RETENUES

4.1 L’importance de réformer le système dans son ensemble

En matière d’amélioration de l’accès à la justice dans les affaires de droit familial et de protection de la jeunesse, il ressort de l’expérience du Manitoba que, pour réaliser des changements systémiques, il faut s’attaquer aux problèmes connexes de l’ensemble du système.

Les différentes institutions et les divers partenaires prenant part à la prestation de services de justice doivent reconnaître l’interdépendance de leurs rôles respectifs et, tout en respectant les frontières entre chacun de ces rôles, doivent coordonner leur travail et collaborer entre eux à l’atteinte d’un objectif général commun.

En cherchant à rendre la justice plus accessible aux parties à un litige familial, la Cour s’est employée à optimiser le processus judiciaire, tout comme le SRLF s’est employé à appliquer une approche plus centrée sur la personne pour son modèle principalement fondé sur la résolution extrajudiciaire des différends. L’interaction entre les deux approches procure aux familles manitobaines des bienfaits supérieurs à ce que l’une ou l’autre aurait pu permettre à elle seule. De plus, comme mentionné plus haut, les travaux à cet égard ont été soutenus et encouragés par la réforme législative et le « dégroupage » des services juridiques, une modification subtile de la pratique du droit au Manitoba qui pourrait être particulièrement utile pour aider les personnes qui sont traditionnellement peu susceptibles de recourir à un avocat ou qui n’en ont pas les moyens.

4.2 Potentiel d’adaptation

Pendant leur exposé du 11 mars 2022, le juge en chef Glenn Joyal et la juge en chef adjointe Gwen Hatch ont reconnu que les différences de contexte et les difficultés particulières de chaque province et de chaque tribunal peuvent empêcher d’exporter intégralement les réformes effectuées au Manitoba, mais que l’on pourrait favoriser une application adaptée selon le cas. Cela dit, ils ont fait remarquer que les deux modèles tiennent une bonne partie de leur succès à autre chose que la structure de la Division de la famille : le principal serait d’insister sur le respect de délais stricts en ce qui concerne les comparutions, le dépôt des documents et la fixation des dates de procès. En outre, une efficacité et une constance optimales ont découlé du fait de veiller à ce que ce soit le même juge qui préside aux conférences préparatoires au procès et aux conférences de gestion d’instance, en plus d’instruire les requêtes connexes. Ce sont toutes des innovations relativement simples à réaliser et adaptables à d’autres ressorts.

POINT DE CONTACT

Voici les coordonnées pour obtenir de plus amples renseignements sur le nouveau modèle de protection des enfants ou le nouveau modèle de traitement des causes de la Division de la famille :

Bureau du juge en chef

Cour du Banc du Roi du Manitoba

Coordonnées pour obtenir de plus amples renseignements sur le Service de règlement des litiges familiaux du Manitoba :

Service de règlement des litiges familiaux

getguidance@gov.mb.ca

RESSOURCES SUPPLÉMENTAIRES

L’honorable juge en chef Glenn D. Joyal, observations à la Conférence sur la protection de l’enfance, 2 décembre 2016

https://www.manitobacourts.mb.ca/fr/cour-du-banc-de-la-reine/sur-la-cour-du-banc-de-la-reine/welcoming-remarks-from-the-chief-justice/chief-justice-speeches/

L’honorable juge en chef Glenn D. Joyal, directive de pratique concernant les instances relatives à la protection des enfants, 10 février 2017

http://www.manitobacourts.mb.ca/site/assets/files/1152/child_protection_proceedings_-_practice_direction_fr_2.pdf

L’honorable juge en chef Glenn D. Joyal, New Model for Scheduling and Case Flow Management of Non-Child Protection Family Division Matters (en anglais), présentation aux membres du Barreau du Manitoba spécialisés en droit de la famille, 18 juillet 2017

https://www.cba-mb.ca/CBAMediaLibrary/cba_mb/images/Sections-and-Community/NEW-MODEL-FOR-SCHEDULING-AND-CASE-FLOW-MANAGEMENT-MBA-Presentation-July-18-Final.pdf

L’honorable juge en chef Glenn D. Joyal, directive de pratique concernant les modifications exhaustives des règles de la Cour du Banc du Roi en matière familiale, entrée en vigueur le 1er février 2019, daté du 17 décembre 2018

https://www.manitobacourts.mb.ca/site/assets/files/2045/practice_direction_-_comprehensive_amendments_to_court_of_queens_bench_rules_family_effective_february_2019_fr.pdf

L’honorable juge en chef adjointe Gwen B. Hatch, directive de pratique concernant le modèle de traitement des causes de la Division de la famille – questions de procédure, datée du 14 décembre 2020

https://www.manitobacourts.mb.ca/site/assets/files/1152/practice_direction_fd_case_flow_model_practice_issues_december_14_2020_fr.pdf

L’honorable juge en chef adjointe Gwen B. Hatch, directive de pratique concernant les règles relatives à la Loi sur le divorce modifiée, datée du 12 février 2021

http://www.manitobacourts.mb.ca/site/assets/files/1152/practice_direction_-_divorce_act_amendment_rules_-_feb_12_2021_fr.pdf

[1] Pour une liste des instances non visées par ce modèle de traitement des causes, voir les directives de pratique datées du 14 décembre 2020 et du 12 février 2021.

[2] Recherches basées sur des observations et des entrevues, qui peuvent être utilisées pour tirer des conclusions sur le fonctionnement des personnes ou des collectivités.